Le seau du sot à la perche

Publié le par SebO

Je pense que nous sommes tous d'accord, Arte n'est pas la chaîne la plus attrayante du paysage télévisuel français. La Cinquième, je dis pas, il y a souvent des émissions ou des reportages très intéressants, mais dès la nuit tombée, le programme se transforme bien souvent en reportage culturel hyper pointu ou en film turco-mongol sous-titré en hongrois. Y'en a qui aiment. Mais parfois, il y a une exception. Un classique du cinéma, un film en version originale qui ne passe nulle part ailleurs, ou un documentaire intéressant. Et hier, c'était le cas, puisqu'était diffusé sur Arte Le cauchemar de Darwin, un film documentaire de 2003 qui gagne à être vu.

Un peu à l'instar d'un film de Michael Moore, ce documentaire a pour vocation de dénoncer des choses aberrantes qui se passent dans notre joli petit monde, simplement en exposant la réalité des faits, bien souvent occultée. Mais contrairement au sieur Moore qui s'attaque à des sujets bien ciblés et assez américano-américains (le port des armes, l'exploitation des enfants par certaines entreprises américaines, la bêtise de ce bon vieux George W...), le réalisateur s'attaque ici à un système économique dans sa globalité et les répercussions énormes de ce système sur les gens et le monde.

 

Pourquoi ce titre ? Tout commence il y a quelques dizaines d'années (ça n'est pas très bien défini), quand quelqu'un a la bonne idée de faire une "petite expérience scientifique" en déversant dans le lac Victoria un seau contenant quelques poissons, des perches du Nil exactement. Le lac Victoria est le deuxième du monde par son ampleur, et c'est la source du Nil. Il y a cinquante ans, le lac contenait plus de 200 espèces différentes de poissons. Depuis l'introduction de la perche, ce nombre ne cesse de chuter et il n'y a maintenant plus que quelques dizaines d'espèces. Car il faut savoir que cette bonne vieille perche s'est trouvée vraiment à l'aise dans le lac et s'est multipliée de façon complètement incontrôlée. C'est une espèce carnassière qui mange tout ce qui lui tombe sous la dent, copains poissons compris. Du coup, les perches du Nil introduites par l'homme se sont mises à pulluler, au détriment des autres espèces. La loi du plus adapté... le cauchemar de Darwin.

 

Le documentaire se focalise sur une ville du Nord de la Tanzanie, Mwanza, qui se trouve au bord du lac Victoria.

Plein de choses très intéressantes se passent dans cette petite ville, et tout est dû à la présence de la perche du Nil dans le lac. Il y a un aéroport, avec d'énormes avions qui atterrissent et décollent jour et nuit, le plus souvent à destination de l'Europe. Il y a de plus en plus d'usines, construites, financées et dirigées par des sociétés européennes. Ces usines et ces avions sont là exclusivement pour la perche, dont des centaines de tonnes sont pêchées chaque jour. Les usines préparent et conditionnent les poissons, en les transformant en filets, qui sont expédiés par avion vers les pays consommateurs. Du coup, de plus en plus de Tanzaniens viennent de l'arrière-pays pour devenir pêcheurs, ce qui permet d'augmenter la productivité des usines. 90% du poisson pêché est revendu aux usines, le reste (qui n'est pas de la perche) sert à la consommation des pêcheurs.

A côté de ça, une famine terrible frappe le pays, avec plus d'un million de personnes qui n'ont pas de quoi se nourrir en Tanzanie. L'afflux de pêcheurs, qui vivent loin de chez eux dans des camps de fortune, entraîne fatalement un développement de la prostitution, qui est le facteur le plus important de propagation du virus du SIDA dans cette région. De nombreux pêcheurs meurent chaque jour, du SIDA, d'accidents de pêche, d'attaques de crocodiles, mais ils sont remplacés par de nouveaux arrivants. Des centaines d'enfants dorment dans la rue, soit parce que leurs parents sont malades ou morts du SIDA, soit parce qu'ils ne sont pas assez riches pour les garder à la maison.

 

Je ne sais pas ce qui était le plus déprimant ou le plus révoltant dans ce reportage... Difficile à dire, vraiment... Le témoignage d'Eliza, 19 ans, prostituée pour les pilotes des avions, qui dit qu'elle aimerait bien pouvoir étudier pour s'en sortir, et qui meurt sous les coups d'un client australien avant la fin du reportage. Le témoignage du gardien de nuit de l'Institut de Recherche des Pêcheries, dont le prédécesseur a été tué pendant son service, et qui avoue attendre une guerre pour arranger les choses, sans bien avoir l'air de réaliser ce que ça signifie. Les images des gamins qui se battent pour une poignée de riz, et qui font fondre les emballages plastique des poissons pour sniffer. Le fait que les usines donnent les carcasses de poissons (il ne reste plus que la tête et les arêtes) à la population pour la consommation locale. Le témoignage du pasteur tout à fait conscient des ravages du SIDA qui explique tout gêné qu'il ne peut pas prêcher pour le port du préservatif car c'est contraire à la religion. La conférence de presse de la délégation européenne qui expliquent gentiment qu'ils vont continuer d'investir de l'argent dans les pêcheries parce qu'elles font du bon poisson, c'est bien. Ou l'aveu à moitié forcé du pilote ukrainien qui raconte que, contrairement à ce que tout le monde raconte, les avions européens ne viennent pas très souvent à vide pour charger le poisson, mais plutôt avec des grosses caisses contenant des armes et des munitions qui servent dans les conflits dans les pays autour de la Tanzanie, Rwanda, Congo, Angola,...

 

Bref, ce film documentaire est très... instructif. Il montre à la fois une petite partie des conséquences que peut avoir la mondialisation, mais aussi l'incroyable effet domino provoqué par un pauvre seau rempli de poissons il y a un demi-siècle. Le film existe en DVD, si vous ne savez pas quoi faire un soir et que vous voulez vous énerver un peu contre le monde dans lequel nous vivons tous, c'est une bonne solution. Si vous vous en foutez complètement, pas la peine.

Et souvent, c'est vrai, en voyant ce genre de choses on est amenés à se dire qu'on ne peut pas y faire grand-chose, de toutes façons. Mais ça n'est pas forcément vrai. Regardez, il aura suffi d'un seau...

Publié dans D'autres choses

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A
Darwin, darwinistes, créationnistes... Pourquoi cela m'amène-t-il inéluctablement à la conclusion que Chomsky est un connard ? :D
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S
Ah, merci de cette précision, chère Irosamay. :)<br /> <br /> En revanche vu l'horaire ce n'est pas très clair sur mon programme télé mais du coup je crois qu'il passe dans la nuit de Lundi à Mardi, alors ne vous laissez pas surprendre si vous tenez à le regarder, c'est apparemment la seule rediffusion prévue.
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I
Pour ceux qui ne l'ont pas vu , cela repasse Mardi 2 mai à 0h50 sur Arte
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C
Chiche ?
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T
moi, et ça n'étonnera personne, ce genre de truc, ça me révolte velu !! Et je suis sur que les entreprises européenne se font max de bénef sur le poisson qu'il doivent acheter une misère aux pécheurs locaux.<br /> Et après ça, qu'on vienne pas me dire, comme certains me l'ont déjà dit lors de nos discussion/débat qu'on a de temps en temps, que les pays dit riche ne le sont pas entre autre sur le dos des pays pauvres ! C'est lamantable et c'est cautionné par tout le monde.<br /> <br /> C'est super dur à faire, parce qu'il y a tellement de trucs bon dans les grandes surfaces, mais il faudrait boycoter tous les produits qui sont fait sur le sang des populations pauvres ... les problèmes, c'est que ça en ferait beaucoup :/
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